Joël Falmet, vice-président Aube du Syndicat Général des Vignerons s’inquiète des conséquences d’une année inédite pour la viticulture, entre vendanges très prématurées et baisse drastique des rendements, conséquence de la crise mondiale actuelle.
Comment se déroulent les vendanges cette année ?
C’est une année bien particulière. D’abord en terme de climat parce qu’avec la météo, on a presque trois semaines d’avance sur une récolte habituelle. Avec la sécheresse, la vigne aussi a souffert ; on se retrouve avec un cycle plus court qui impacte la vigne. Certaines vendanges ont commencé le 13 août, il a fallu trouver des saisonniers qui ne sont pas ceux qui viennent d’habitude. L’Aube accueille en moyenne 25 000 vendangeurs. Et à cause du Covid-19, on a très peu d’étrangers. Heureusement cette situation précoce a fait venir des étudiants ce qui a permis de compenser. Evidemment l’organisation est beaucoup plus compliquée : pour la partie chantier, où les cueilleurs ne doivent pas être plus d’un par rang, mais aussi pour la partie restauration et hébergement. C’est plus compliqué de respecter les distances en hébergement collectif.
Côté commercial, vous semble t-il possible de rattraper le retard dû au confinement et à l’arrêt des cafés, restaurant et de l’évènementiel ?
On a déjà perdu 40 millions de bouteilles entre janvier et juillet comparé à 2019 (297 millions de bouteilles vendues) ce qui représente une baisse de 29% des ventes avec un pic de baisse en avril. Après le léger rebond de juin, le mois de juillet a connu de nouveau une diminution des ventes surtout par rapport à l’export. Le marché français se passe plutôt bien pour les vignerons qui ont accentué leurs ventes directes aux particuliers pendant la crise sanitaire. Mais cela reste compliqué pour l’export et les maisons de Champagne, notamment aux États-Unis, en Grande Bretagne et en Chine, où on exporte beaucoup. On a une année très perturbante. C’est une situation inédite en Champagne qui ne se rattrapera pas d’ici la fin de l’année. On a encore des mariages qui s’annulent aujourd’hui. Si tout va bien, on espère vendre entre 200 et 220 millions de bouteilles.
De cette situation a découlé aussi une décision difficile à prendre pour les rendements cette année. A quoi doivent s’attendre les vignerons aubois dans les mois qui arrivent ?
Entre les maisons de champagne qui raisonnent en industriels et veulent écouler leur stock et un palier en deçà duquel nous les récoltant ne voulons pas descendre sous peine de nous retrouver en difficulté de trésorerie, il a fallu discuter. On a obtenu 8000 kilos à l’hectare dont 7 000 assurés cette année. On aurait aimé avoir plus pour deux raisons. Des vignerons vont se retrouver dans quelques mois avec des problèmes de trésorerie assez importants. Et pour les récoltants manipulants qui vendent toute leur récolte, ils vont se retrouver avec plus de 20% de baisse de leurs volumes. Et dans deux ans, ils n’auront pas assez de bouteilles à vendre. On aurait grand besoin d’alléger la fiscalité de nos stocks qui ont beaucoup augmenté à cause du ralentissement brutal des ventes.
© Propos recueillis par Emeline Durand