Les pratiques relevant de l’agroécologie se développent chez de nombreux agriculteurs. Même s’ils n’appliquent que partiellement les principes de ce concept, ils contribuent à une évolution de l’agriculture dans la prise en compte du fonctionnement des écosystèmes.
Nous avons rencontré M. Jean Marie Delanery, exploitant à Tilloy Bellay engagé depuis longtemps dans les pratiques agroécologiques.
Monsieur Delanery, comment vous définiriez l’agroécologie ?
Pour moi c’est d’abord prendre soin de la nature par des pratiques agronomiques qui ne la pénalisent pas. C’est aussi préserver la fertilité de nos sols et utiliser les interactions biologiques pour améliorer notre processus de production.
Que mettez vous en œuvre sur votre exploitation ?
Depuis de nombreuses années j’ai mis en place des couverts végétaux. Au départ, c’était pour piéger les nitrates avec l’implantation de moutardes en interculture. Depuis, j’ai diversifié les espèces et les mélanges afin d’améliorer la fertilité des sols. Il y a 13 ans, avec l’arrivée du TGV, j’ai coupé en deux une parcelle de 50 ha avec l’implantation de 1500m de haie et de sa bande enherbée de 8 à 10 m de large. Je viens d’installer une haie-bouchons avec la fédération de chasse et d’implanter une bande intercalaire de 6 m de large à base de phacélie, de trèfle et de mélilot. Avec la gestion des bords de champs cela fait partie d’un projet de territoire visant à favoriser les abeilles et les insectes pollinisateurs. Cette action s’inscrit dans un GIEE regroupant 15 exploitations de la commune et des communes voisines.
Concernant les couverts, comment pratiquez vous ?
Les couverts représentent 30% de ma surface et sont implantés avant betteraves et pommes de terre de fécule. Ils sont indispensables pour valoriser les effluents d’élevage (l’exploitation fait partie d’un plan d’épandage d’une porcherie) et pour redynamiser la vie du sol. Plusieurs types de couverts sont semés :
- Un mélange radis-vesce- phacélie, semé vers le 15 août, après un labour d’été afin de réussir l’implantation.
- Une association moutarde brune-phacélie implantée avec un semoir sur un déchaumeur à dents après un premier déchaumage à disque.
- Un mélange moutarde tardive-vesce-phacélie semé avec au semoir à grains traditionnel.
Je mets aussi des moutardes «classiques » avant pommes de terre mais j’aime bien la phacélie car c’est une plante mellifère ce qui vient en cohérence avec les actions pour favoriser la biodiversité. La destruction est réalisée mécaniquement par un rouleau broyeur qui est très efficace même sur des plantes lignifiées.
Les éléments de biodiversité nécessitent certains travaux ?
Effectivement, il faudra procéder au taillage de la haie, la bande enherbée associée doit être entretenue et à certains endroits on a implanté un mélange à fleurs dans le cadre du projet Symbiose. Pour préserver la nidification on broie tôt au printemps. Les bords de parcelles sont gérés en retardant le broyage pour maintenir les fleurs et on implante quand c’est nécessaire du trèfle, de la minette…Mais cela reste limité car l’action territoriale concerne des kilomètres de bordure, on préfère laisser la pousse naturelle. Peut être faudra-t–il envisager un désherbage mécanique pour la bande enherbée nouvellement implantée.
Et la conduite de vos cultures ?
J’essaie de limiter l’utilisation des insecticides au strict nécessaire. Par exemple, j’implante mes blés plus tard donc je n’utilise pas d’insecticides à l’automne. Pour le colza, on a recours à des variétés tolérantes aux viroses et on accepte de prendre certains risques : en 2019 je n’ai pas traité les tipules sur betteraves, malgré, tout pas d’incidence sur le rendement. La mise en place des éléments de biodiversité favorise les auxiliaires mais il est difficile d’en mesurer leur impact. Pour la septoriose je choisis des variétés moins sensibles, je pratique le désherbage mécanique sur luzerne… Progressivement, les pratiques évoluent mais il faut laisser du temps aux agriculteurs pour les maîtriser et s’adapter.
© Propos recueillis par Gérard Cattin
Agroécologue avant l’heure
Bernard Bouilliard a commencé dès 1995 le travail simplifié du sol et la mise en place de couverts végétaux. L’exploitation compte 180 ha en production végétale, elle est en lien avec une porcherie et deux méthaniseurs. Les pratiques agronomiques correspondent en grande partie à la définition de l’agroécologie.
M. Bouilliard, que représente pour vous l’agroécologie ?
Plusieurs principes déterminent l’agroécologie. Pour moi, c’est d’abord une agriculture diversifiée, avec des rotations longues, qui s’appuie sur les cycles naturels et les auxiliaires pour diminuer l’utilisation des intrants. C’est aussi une intervention minimale sur les sols et la présence de couverts. Dans le contexte actuel, j’ajoute la production d’énergie et le captage du carbone.
Vous avez évoqué le travail minimum du sol.
J’applique des pratiques simplifiées avec un travail sur une profondeur de 5 à 10 cm maximum. C’est nécessaire car il faut enfouir le digestat. Cependant il m’arrive de réaliser du semis direct dans les couverts avec un Maxi Drill dont je relève les disques. Cette année, 21 ha d’escourgeon ont été semés de cette manière dans des CIVES non récoltées. Il m’arrive aussi de faire du semis direct de blé dans des repousses de pois. L’essentiel du matériel étant en CUMA, nous avons le choix des outils en fonction des situations.
Concernant les couverts, quelle est votre stratégie ?
Sur l’exploitation il y a des couverts partout où c’est possible même entre un blé et un escourgeon. Deux types de cultures intermédiaires sont implantées : celles pour des questions environnementales et celles à destination de la méthanisation. Mais en fait on récolte ce qui peut l’être et le reste devient des CIPAN. Les couverts à vocation environnementale, en général, viennent derrière un blé et avant une orge de printemps. Après la récolte on épand le digestat et le couvert est semé en direct avec le Maxi Drill, parfois il peut y avoir un déchaumage. Le mélange de base se compose de moutarde blanche, radis anti-nématodes et radis chinois, phacélie et un peu de vesce. Ce type de couvert est mis avant pois mais sans apport de digestat. La destruction se fait soit au croskill après un gel soit avec du glyphosate (tant que c’est possible). Les couverts à vocation énergétique sont destinés à être récoltés pour la méthanisation. Ils sont semés le plus tôt possible derrière les escourgeons. Après épandage du digestat on effectue un semis direct d’un mélange composé de moutarde, radis, tournesol, sorgho et phacélie. En moyenne on récolte 7 t de MS/ha, sauf en 2019 (2 à 4 t). On a aussi du seigle derrière maïs, récolté en avril pour réimplanter un autre maïs. On ne garde cette technique que deux ans sur la même parcelle.
Au niveau de la biodiversité où en êtes-vous ?
Un assolement diversifié et des couverts que je laisse venir à fleurs participent déjà à favoriser la biodiversité. Je garde également une bande de cultures intermédiaires de 7 à 8 m de large, non détruite à l’automne. Il y a sur l’exploitation une jachère mellifère et en bordure du village une parcelle de 2.5 ha implantée avec un mélange de graminées, luzerne, sainfoin, trèfle destiné à la méthanisation et laissé à maturité.
Et au niveau de la conduite des cultures ?
Comme je vous l’ai indiqué, j’ai un assolement diversifié avec 9 cultures ce qui casse le cycle du parasitisme. Pour encore en réduire la pression je sème les blés à faible densité (200 à 250 gr/m2) en les étalant du 5 au 25 octobre et je choisis des variétés peu sensibles aux maladies. L’année dernière je n’ai appliqué qu’un fongicide à l’épiaison et je n’utilise pas de régulateur. Le colza est semé avec une plante compagne (féverole) et je n’applique pas d’insecticides à l’automne. Par contre, à cause du ray grass résistant je n’arrive pas à baisser les herbicides. Je mets en œuvre des pratiques visant à limiter les problèmes sanitaires et je m’adapte à la situation.
© G.C