« Dossier spécial coronavirus » : Lait, maraîchage : l’activité se tend

La Fromagerie d’Auxon a arrêté sa transformation il y a plus de dix jours : ses hâloirs sont pleins. © FROMAGERIE D’AUXON

Manque de bras pour certains, absence de débouchés pour d’autres, dans l’Aube, producteurs, maraîchers s’inquiètent pour les jours et les semaines à venir. Les fromagers, dans une situation critique, réclament plus de solidarité de la filière.

La collecte est pour l’instant encore maintenue. Mais la fromagerie d’Auxon a déjà demandé à ses éleveurs de réduire leur production de lait de 10%. L’entreprise de 20 salariés qui travaille avec huit producteurs de l’Aube et des villages de l’Yonne voisins, dispose actuellement de trop de lait au regard des ventes qui ne suivent plus. « La restauration est fermée, Ringis ne prend plus rien », soupire Anne Sahli Fol. Mais ce qui irrite la dirigeante de la fromagerie au plus haut point, c’est l’attitude « inacceptable des grandes surfaces. » « Les GMS ne nous recommandent pas les appellations alors que l’on connaît l’attachement des Français à nos AOP. Ce ne sont pas les consommateurs qui n’achètent pas. On a vu nos rayons vides dans certains supermarchés. Ces gens-là n’ont pas compris, ils ne jouent pas le jeu. » Pour faire face à une baisse des ventes de 40%, l’entreprise auboise a arrêté de transformer depuis dix jours, afin d’écouler ses stocks conservés dans des hâloirs pleins. Et elle vend désormais des citernes de lait en Hollande, à moitié prix. L’export tient pour le moment et le magasin d’Auxon qui longe la nationale, est encore ouvert, ce que peu de gens savent. Face à cette situation inédite, Anne Sahli Fol a retroussé les manches : « le magasin Leclerc de Saint-Parres-aux-Tertres, avec qui on travaille depuis 30 ans, a joué le jeu : toute notre gamme devrait être accessible sur leur drive. Il en va du travail de nos salariés.»

Baisse des prix
Mêmes inquiétudes du côté de Lincet. En milieu de semaine, la collecte se poursuivait pour les éleveurs comme ceux de Savencia. Sodiaal a décidé de baisser de 20€/1000 litres le prix du lait en avril. Et ce alors même que la coopérative a accepté de collecter des éleveurs du massif central livrant habituellement à d’autres laiteries afin d’assurer la continuité de la collecte. Une baisse de prix «inacceptable» pour la Fédération Nationale des Producteurs de Lait (FNPL). Le syndicat veut éviter l’engorgement des outils productifs et la baisse brutale des cours du marché. « Si les éleveurs doivent prendre part à l’effort collectif, cela doit être conditionné à l’engagement de nos partenaires de maintenir la collecte et la transformation sur l’ensemble du territoire ». La FNPL encourage les producteurs à freiner leur production. Un effort qui doit être accompagné selon elle par un dispositif d’indemnisation collectif.
Depuis deux semaines, l’ensemble des entreprises laitières AOP accusent une baisse de chiffre d’affaires de 25% à 80%, assure la fédération des AOP laitière le Cnaol. « Demain, ce seront les éleveurs laitiers qui jetteront leur lait, si rien n’est fait ». Elle demande des aides urgentes au stockage des fromages, à l’écoulement des surplus vers les marchés secondaires et à la régulation des volumes de lait. La FNPL demande à la Commission Européenne la création d’un fonds de soutien aux éleveurs qui baisseront volontairement leur production de 2 à 5%. Pour cela, le CNIEL va débloquer une enveloppe de 10 millions d’euros. Le Cnaol « implore les pouvoirs publics de prendre en compte l’extrême fragilité des AOP laitières et d’agir» afin de «soulager les entreprises laitières AOP ». A Auxon, dans sa fromagerie qui collecte plus de trois millions de litres de lait chaque année, Anne Sahlhi Fol lance un cri d’alarme : que les Français continuent de consommer des fromages sous appellation.
© EMELINE DURAND

 

Un marché atone

Exportation chaotique,  réduction drastiques des ventes en GMS ou en vente traditionnelle, « c’est toute la filière qui est atone », constate Lionel Dosne. Le vice-président du syndicat de défense du fromage de Chaource ne cache pas son inquiétude : « les difficultés sont pour tous les opérateurs, affineurs, transformateurs, sans oublier évidemment les producteurs de lait. Leur dire aujourd’hui qu’ils vont devoir baisser leurs volumes sans être payés… on se demande comment on va tenir ? » Le créateur du Gaec des Tourelles, qui emploie 12 personnes à Evry-le-Châtel, a beau multiplier les reports de charges, il se demande comment l’entreprise va s’en sortir, ne serait-ce que le mois prochain. « On a décidé de diminuer de 20% notre production laitière en avril et mai. Cela entraîne déjà des conséquences économiques, sociales. Et rien ne nous gantait qu’après on repartira sur 100% de nos productions. J’ai du mal à croire à un retour à la normale. »

 

Lactalis appelle à modérer la production

Une production laitière qui connaît un accroissement important, accentué par un début de printemps favorable à la mise à l’herbe des troupeaux laitiers et dans le même temps, une contraction de certains débouchés … les impacts sur l’économie laitière sont très significatifs avec une forte baisse de la valorisation des laits d’excédents proche de 290 €/1000 L, en baisse de 15 % sur un mois. Pour y faire face, Lactalis appelle à modérer la production laitière. « Nous ne sommes pas en mesure de garantir que nous pourrons absorber l’ensemble du lait des producteurs dans les semaines à venir, indique le groupe. Nos sites de traitement des laits de printemps sont d’ores et déjà proches de la saturation, alors que dans le même temps nous devons gérer l’augmentation de l’absentéisme dans nos usines.».